S C I E N C E S N A T U R E L L E S
Jean-Mary CoUdERC*
RÉSUMÉ
L’évolution des connaissances mycotoxicologiques doit amener à prendre de plus en plus de précautions avec la consommation des champignons. outre les traditionnels champignons mortels (parfois mal connus), de nouvelles espèces mortelles ou très toxiques sont arrivées, des espèces jadis reconnues comme comestibles se sont révélées toxiques à l’état cru, voire mortelles pour certains individus, d’autres, comestibles incontestables, s’avèrent mortelles en cas de surconsommation.
INTRODUCTION
Ceux qui, depuis une cinquantaine d’années, ont fréquenté les ouvrages mycologiques, ont pu noter une perpétuelle évolution dans les connaissances mycotoxicologiques, d’abord avec la désignation de nouveaux champignons mortels grâce aux avancées des recherches scientifiques, ensuite en raison d’absorptions accidentelles (une consommation à l’état cru par exemple1), ou du fait d’expériences douteuses (la recherche de champignons hallucinogènes),
* Président de l’Académie.
Au total, il y a peu de champignons que l’on peut ingérer crus sans danger : les agarics et certains cèpes non toxiques, la langue de bœuf…
ou enfin en raison de l’émergence de syndromes jusqu’ici non constatés. À l’inverse, des champignons considérés jadis comme mortels ne le sont plus, ainsi l’amanite citrine, désormais bien distinguée des espèces voisines mortel- les et ayant fait l’objet d’études chimiques poussées. on compte une vingtaine de champignons mortels dans le monde dont treize sont présents en France (nous ne comptons pas les sous-espèces et les variantes) pour une trentaine d’excellents comestibles dont une vingtaine environ pour la France.
RAPPEL SUR LES ESPÈCES MORTELLES OU TOXIQUES QUE L’ON RISQUE DE CONFONDRE AVEC DES ESPÈCES COMESTIBLES
Ce chapitre ne sera pas détaillé car tout spécialiste des champignons se doit d’en connaître les grandes lignes.
Ce sont des champignons toujours porteurs de volve et d’anneau.
L’amanite phalloïde
Sa couleur est verdâtre ou olive, mais il existe une forme à chapeau presque blanc (fig. 1) qu’il ne faut pas confondre à l’état d’œuf avec l’agaric des jachères (la boule de neige) qui, lui, n’a pas de volve et constitue un bon comestible.
Le syndrome phalloïdien est de tous les syndromes d’empoisonnement mycologique celui qui laisse le moins de chances : une mortalité d’environ 15 %. L’intoxication liée aux amanitines se manifeste 12 heures en moyenne après l’ingestion, mais elle peut attendre vingt-quatre heures au plus !
Après une diarrhée intense, une atteinte du foie à partir du 3e jour, une
destruction des cellules des reins si les syndromes liés à la déshydratation ne sont pas pris en charge rapidement (ce qui est maintenant rare en service de réanimation), le pic de l’intoxication arrive le 5e jour avec la détection d’une hépatite aiguë et d’une hémorragie digestive qui, en fait, ont commencé beau- coup plus tôt, au point que certains patients peuvent avoir repris leur travail ! Cinquante grammes suffisent pour entraîner la mort.
Les soins sont problématiques et peuvent être longs; il faut d’abord gérer l’empoisonnement en milieu hospitalier dans un service de réanimation moderne. L’emploi des antibiotiques (pénicillines) à hautes doses et de la silibinine (Legalon ®) comme protecteur hépatique est actuellement le traite- ment de référence2.
L’amanite printanière et l’amanite vireuse
Ces deux amanites blanches contiennent les mêmes principes toxiques que l’amanite phalloïde.
Amanita verna (fig. 2) a les lamelles blanches et elle est très semblable à Amanita virosa (fig. 3) dont le chapeau est plus conique et le pied nettement squameux. La première est assez précoce, virosa est plus tardive. Inutile de dire que, pour récolter et manger une amanite comme ovoidea (fig. 4) au pied fort et de couleur blanc grisâtre, il faut être très prudent et avoir les clefs de détermination en main, au risque, par exemple, de la confondre avec Amanita proxima (fig. 5).
La volve d’A. ovoidea est blanche, tandis que celle d’A. proxima est plus ochracée ; l’anneau de la première est farineux ou floconneux ; celui d’A. proxima est membraneux. Il y a d’autres amanites comestibles et délicates comme la solitaire, l’amanite des Césars ou oronge à chapeau orange (rare chez nous, mais présente les étés chauds en quelques secteurs de la forêt de Loches ) et la très fréquente mais inégalement goûteuse Amanita rubescens, la golmotte (oronge vineuse ou amanite rougissante).
on apprend vite à reconnaître cette dernière, qu’il ne faut pas confondre avec l’amanite panthère à chapeau brun. de toutes façons, cette amanite comestible doit être bien cuite, sinon elle peut occasionner un syndrome hémolytique analogue à celui qu’on enregistre dans le cas des morilles ou des helvèles mal cuites3. L’amanite rougissante montre des rougeurs sur le bord
Le traitement « empirique » du docteur Bastien, généraliste vosgien qui s’est empoisonné – et guéri lui-même plusieurs fois volontairement pour prouver devant huissier que son traitement était efficace – est abandonné par un certain nombre d’hôpitaux, car son efficacité paraît discutable ; sa prise qui doit être immédiate est en contradiction avec l’apparition tardive des symptômes. Il s’agit de vitamine C injectée en intra-veineuse, d’antibiotiques intestinaux comme l’Ercefuryl, un antibiotique à large spectre comme la Néomycine et éventuellement des anti-émétiques pour les victimes de vomissements.
Pour Marcel Bon (1988), les formes indigestes ou mal supportées se récolteraient sous les conifères…
de son chapeau à chaque trace de frottement ou chaque attaque de limaces (et elles sont fréquentes).
L’amanite panthère
Elle possède une chair et des lamelles blanches, mais son chapeau est bistre ou brun-jaunâtre, parfois très foncé avec des ornementations blanc pur en « gouttes de lait » (fig. 6). Le syndrome panthérinien lié au muscimol, à la muscazone et à l’acide boténique induit une vaso-constriction et une tachy- cardie avec hypertension et asséchement des muqueuses. Mais ces manifes- tations se compliquent de délires et d’hallucinations. des cas mortels ont été signalés sur des sujets affaiblis. Le traitement est à base de bromures, calmants et barbituriques.
L’amanite tue-mouches ou fausse-oronge
Amanita muscaria est « le champignon des fous » en Allemand ou « le trône de crapaud » en Anglais. En Touraine, elle pousse surtout sous les bou- leaux et les conifères, par exemple en Gâtine du Nord-ouest et dans la Gâtine de Montrésor. Elle est abondante en Sologne et un peu partout en France, sauf sur les terrains calcaires. Elle n’a pas les lamelles jaunes de l’oronge, mais blanches, et elle arbore des squames blanches sur son chapeau bien rouge.
Elle a la réputation d’être hallucinogène, car elle contient de la choline, de l’acétylcholine, de la muscazone et de la bufoténine, principe hallucinogène présent dans la bave de crapaud. Elle n’est pas mortelle, sauf exception ; on traite par des sédatifs (type Valium®). Elle est à la base de pratiques chama- niques en Sibérie du Nord ou chez les Lapons qui avalent des chapeaux séchés de ce champignon sans les mâcher. Sa consommation entraîne la dilatation des pupilles, un état d’excitation, des transes et des hallucinations visuelles et auditives, mais avec une période postérieure de torpeur et d’abattement qui font dire aux populations de l’arctique que le chamane entre alors en contact avec le monde des esprits. On nous a affirmé en Alsace, en 1963, que dans une certaine vallée des Vosges des personnes la consommaient jeune sans être affectées ( ?), ce qui montre la variabilité des statuts toxiques dont nous allons reparler, ceux-ci pouvant être liés aux différents types de mycorhizes4, voire à des sols à contenus chimiques particuliers.
4. Une mycorrhize est l’association d’un champignon avec les racines d’une plante ; elle
on ne doit pas confondre les coulemelles comestibles de grande taille (les macrolepiota : la procera, élevée, rhacodes, déguenillée, mastoidea, mamelonnée, gracilenta, gracile, ainsi que l’excoriée [excoriata] qui, elle, est de plus petite taille avec une chapeau de 5 à 8 cm, le centre fauve, le pied avec une anneau simple), avec toutes les petites lépiotes fauves clair mais rosissantes et ne dépassant pas 10 cm qui sont toxiques ou mortelles et res- ponsables d’un syndrome phalloïdien. Sont mortelles :
lepiota helveola5 (fig. 7) dont la toxicité fut découverte en raison d’un acci-
dent survenu près de Lyon en 1830 : son chapeau mesure de 1,8 à 7 cm ; son pied n’a pas de véritable anneau ;
lepiota brunneoincarnata (cf. Klisnick et al., 1999) (fig. 8) ;
L. josserandii.
Au moins dix autres sont très toxiques, parfois mortelles : lepiota lila- cea, L. subincarnata, L. flammeotincta, L. ochraceofulva, L. heimii (fig. 9), L. kühneri, L. langei, L. pseudohelveola, L. brunneolilacea, L. helveloides.
La solution est l’abandon total de la consommation des lépiotes de taille moyenne ou petite.
on rencontre les mêmes syndromes para-phalloïdiens chez les galères : marginée (Galera marginata) (fig. 10), d’automne (autumnalis) et des prés (praticola) qui sont plus rares. or il y a un assez grand risque de confusion, de la marginée surtout, avec la pholiote changeante : Pholiota ou Galera mutabilis, de nos jours : Kuehneromyces mutabilis : « l’agaric à soupe » qui est un bon comestible. Ce dernier champignon possède un chapeau hydrophane brun cannelle, ocre-livide au centre, des lames roussâtres et un pied floconneux de 6 cm. La galère marginée est plus fauve ou rousse, en touffes moins denses, voire isolée, avec des pieds plus élevés, un anneau plus discret et elle se trouve souvent sous les conifères. Ses lamelles sont étroites et serrées, ocres à rous- sâtres, avec un pied de 4 à 7 cm.
accroît la capacité de celle-ci à absorber les éléments nutritifs du sol : le champignon lui fournit de l’eau et des sels minéraux, et la plante procure à ce dernier les composés carbonés dont il a besoin.
Cette espèce est devenue un taxon douteux pour de nombreux mycologues.
Aucun n’est mortel. Le bleuissement de la chair n’est pas un critère de toxicité. Je récolte par exemple tous les ans dans ma vieille pelouse, en juin ou en septembre, un bon bolet que j’y ai introduit et qui bleuit fortement : Boletus luridus, le bolet blafard (fig. 11), considéré pendant longtemps comme
« vénéneux », « redevenu » comestible il y a environ 50 ans et , de nos jours, accusé de causer des troubles gastriques s’il est mal cuit. Même statut pour Gyroporus cyanescens (bolet indigotier), un rare bolet au bleuissement intense à la cassure, comestible réputé. d’une façon générale, il ne faut pas manger crus les bolets bleuissants.
Le délicieux petit bolet bai (bolet bleuissant), Boletus badius, bleuit uniquement sous les tubes. Boletus satanas (fig. 12), le bolet de satan, est le bolet toxique le plus connu, bien qu’il ne soit pas si fréquent. d’autres espè- ces proches, plus rares encore mais présentes dans nos régions, le rejoignent dans cette catégorie : B. lupinus, B. rhodoxanthus (rose et jaune), B. rhodo- purpureus (rose et pourpre) (fig. 13), comestible, mais dont la ressemblance avec satanas doit inciter à la prudence, B. splendidus (= B. legaliae ou B. satanoides) rare et vénéneux, B. roseotinctus (bolet teinté de rose)…
Le bolet de satan est aisé à reconnaître, car il est le seul bolet à chapeau blanchâtre sans nuance de rose; il a de plus des pores rouge vif, le pied le plus gros et le plus arrondi qui soit ; il bleuit d’ailleurs peu, possède une odeur désagréable et est de surcroît un des rares à pousser dès le printemps sous des feuillus sur sols calcaires ou neutres.
Sa toxicité apparaît variable, mais Azéma (1982) a mis en évidence des intoxications très sévères chez des personnes qui avaient cru bien faire en consommant des sujets jeunes et bien cuits, se référant à des données de comestibilité inscrites dans certains manuels.
Comme autres toxiques, citons encore Gyroporus ammophilus (spora- diquement présent en région Centre en dehors des régions côtières) et Gyro- porus castaneus (fig. 14 et 15) que j’ai consommé une fois avec intérêt et dont on considère maintenant qu’il est responsable d’intoxications aléatoires ou inexpliquées.
Indiqué comme comestible dans certains livres mais absent de notre région, Porphyrelleus porphyrosporus rejoint les espèces précédentes, mais il
est la cause de syndromes entérotoxiques sévères. Au moins deux autres espèces sont immangeables : le bolet fiel, Boletus ou Tylopilus felleus (fig. 16) et Boletus ou Chalciporus piperatus : le bolet poivré, petit, à pores jaunâtres- orangés, dont on peut cependant faire un condiment en le séchant et en le broyant.
Il s’agit de Clitocybe cerussata, Clitocybe phyllophila et surtout de Clitocybe dealbata (fig. 17) dont le pied mesure 2 × 0,4 cm, apparemment présents depuis longtemps dans nos pelouses et qui, en raison de leur couleur crème, sont souvent confondus avec le mousseron d’avril (mousseron vrai ou tricholome de la Saint-Georges), d’où des intoxications fréquentes de type sudorien : sueurs excessivement abondantes, larmes, tremblements, convul- sions survenant deux heures après l’ingestion et dont le traitement est à base d’atropine.
LA DÉCOUVERTE DE NOUVEAUX CHAMPIGNONS TRÈS TOXIQUES ET DE CAS DE SURCONSOMMATION TRÈS DANGEREUX
Deux groupes de cortinaires arrivés par le Massif central
Il s’agit d’une part du Cortinarius orellanus (cortinaire couleur de roucou) (fig. 18), du C. speciosissimus (= rubellus) et de ses deux variétés julii et ochraceovelatus, de C. orellanoides ainsi que sa variété tristis, de couleur orangée ou fauvâtre, appartenant au sous-genre Leprocybe Moser, espèces considérées comme mortelles, et d’autre part de plusieurs espèces du sous-genre Dermocybe (Fr.) Loud. à lames de couleurs souvent vives, consi- dérées comme suspectes.
Les uns appartiennent à la section cinnamomei à lames orangées comme le cortinaire cannelle (C. cinnamomeus ou Dermocybe cinnamommea) (fig. 19), les autres à la section sanguinei, à lames rouges, ainsi les pourpres :
C.sanguineus (fig. 20), C. cinnabarinus, C. purpureobadius et C. phoeniceus
qui est le plus toxique (peut-être mortel ?).
Le syndrome orellanien (lié à l’oréllanine dont ils sont porteurs), décou- vert en 1952 en Pologne, se manifeste d’abord par une symptomatologie digestive dans un délai de 24 heures avec des délires et des hallucinations, puis neuromusculaire et enfin par une insuffisance rénale chronique, nécessitant une hémodialyse (NTIA : Néphrite tubulo-intersticielle aiguë, IRC : Insuffi- sance rénale chronique de 50 %) et laissant des séquelles à vie (EER : Épuration extra-rénale ou greffe). Le drame, c’est que des patients ne font pas forcément le rapport entre leurs malaises et leur précédent repas de champignons qui a pu être pris de 3 à 14 jours avant ; souvent il ne reste même plus d’éléments identifiables des champignons responsables dans les poubelles.
Il existe même un autre cortinaire toxique, le resplendissant Cortinarius splendens (fig. 21), qui appartient à un autre groupe, mais qu’on peut confondre avec les tricholomes du groupe équestre et dont il faut se méfier.
Le clitocybe ou pleurote de l’olivier
Le clitocybe ou pleurote de l’olivier (Clitocybe olearia = Omphalotus olearius) (fig. 22) est considéré comme un arrivé récent dans le nord de la France. C‘est un toxique en principe non mortel, qui occasionne des syndro- mes sudoriens et des troubles gastro-intestinaux violents analogues à ceux causés par l’entolome livide Entoloma lividum (« le perfide ») ; mais certains accidents conduisent parfois à la mort.
Le cas du paxille enroulé (Paxillus involutus) (fig. 23)
on connaissait l’étrange mort d’un grand mycologue allemand dans les ruines de Berlin en avril 1945, mais on l’imputait à une consommation crue du champignon (faute de gaz). Jusqu’à il y a 25 ans environ, on considérait ce champignon comme un bon comestible6 à condition de le bien cuire. C’est
Une partie de ma génération a fait ses classes en mycologie avec les ouvrages de A. Maublanc et J. Jacottet ; ce dernier écrivait encore dans la neuvième édition (1973) de son ouvrage :
un champignon que nous consommions jusque vers 1980 et que nous avions introduit avec un très grand succès dans notre pelouse, surtout l’espèce Paxil- lus atrotomentosus (moins bon comestible). Il revient chaque année en grand nombre car il s’est vraisemblablement mycorrhizé avec les racines d’un bou- leau. on sait maintenant que le champignon peut tuer pour d’autres raisons, et le mycologue allemand, n’ayant rien d’autre à manger, est peut-être décédé d’une surconsommation. Il s’agit d’un phénomène immunologique. Flammer découvrit en 1980, à l’intérieur de ce champignon, un antigène que stimule une réaction autoimmune amenant les cellules immunes du corps à considérer leurs propres cellules hématiques comme étrangères et les attaquant, d’où une dangereuse hémolyse, parfois fatale
Le caractère vicieux de ce syndrome provient de ce qu’il y a des souches inertes et des souches immunogènes totalement indiscernables macro et micros- copiquement . Si on a la malchance de consommer une nombre suffisant de fois des paxilles immunogènes (x repas), le stock d’anticorps accumulé dans l’organisme peut déclencher au repas x + 1 une hémolyse massive et diverses perturbations pouvant entraîner la mort. Cette issue fatale peut donc ne concer- ner qu’un seul des convives, d’où la difficulté des recherches toxicologiques. Le sort de chacun dépend de ses contacts précédents avec des paxilles toxiques. Ce n’est donc pas parce que l’on consomme des paxilles depuis son enfance (comme le font couramment les Polonais) que l’on est à l’abri d’un ennui grave, bien au contraire !
Les symptômes possibles sont des coliques, une hypotension, une hémolyse avec ictère, une hémoglobinurie et une atteinte rénale définitive ; la base des traitements est constituées de corticoïdes. En plus, l’espèce est maintenant connue pour sa capacité à stocker les éléments radioactifs et les métaux lourds : tout particulièrement le cadmium assimilé par ses parois cellulaires.
Le syndrome observé est le syndrome gyromitrien, bien que le cham- pignon ne renferme pas de dérivés hydraziniques. Il se déclenche avec l’ab- sorption de champignons soit insuffisamment cuits, soit absorbés en quantité trop importante et surtout trop fréquemment renouvelée. Ce champignon doit donc être considéré comme un dangereux et subtil empoisonneur et certains
Les Champignons dans la nature (delachaux et Niestlé, 1 ére éd. (1961) : « Le Paxille enroulé est un comestible excellent…on ne connaît pas de paxille vénéneux ».
toxicologues anglais l’appellent désormais, faisant un jeu de mot, Poison Pax, c’est-à-dire le baiser de paix empoisonné.
Les gyromitres : Gyromitra esculenta (fig. 24)
et G. infula (le gyromitre en turban ou « fausse morille »)
Le premier est une espèce que je consommais sans problèmes jusque vers 1990 et que l’on trouvait dans les restaurants servant des champignons, voire des « morilles », à la crème. on le sépare aisément de la morille par l’absence d’alvéoles sur les circonvolutions du chapeau, mais comme pour la morille, il est toxique à l’état cru et seule la cuisson et la dessication détruisent ses hémolysines .
Nos connaissances sur les Ascomycètes ont bien progressé parce que dès 1968, Henri Romagnési alertait sur des accidents mortels qu’il mettait déjà sur le compte d’allergies, écrivant par contre que le montagnard G. gigas était inoffensif. Il demandait de ne pas le consommer de façon répétée et à quelques jours d’intervalle et plutôt séché. Marcel Bon, par contre, considérait en 1988 que, s’il était responsable d’accidents mortels aléatoires, il fallait le bien cuire et rejeter la première eau de cuisson. En fait, ces mises en garde sont dépassées, car on considère aujourd’hui que c’est un tueur parfois res- ponsable de cytolyses et d’ictères mixtes survenant entre 8 h et 12 h après le repas, auxquels peuvent succéder des troubles neurologiques (convulsions, confusion, coma) et des hémolyses graves (hémolyse intravasculaire).
En cause : la gyromitrine, principe toxique proche des dérivés hydrazi- niques. Les soins administrés sont surtout une prise de vitamine B 6 (25 mg/k en 30 mn), de charbon activé, de benzodiazépines (diazépam ou benzo- diazépine : BZd ) et la surveillance du bilan hépatique. Comme ce champignon ne brille pas par sa saveur, contrairement à la morille, il vaut mieux abandon- ner sa cueillette.
Des accidents allergiques peuvent être liés à la consommation de shiitake à l’état cru
Il n’y a pas, en dehors du champignon de Paris, de champignon plus couramment cultivé que le shiitake (fig. 25). Ce dernier est apparu dans nos cultures, venant du Japon, il y a une quarantaine d’années. Un de mes amis, obstétricien dans la région de Nantes, en a consommé crus, en 2008, avec son frère, sans doute par curiosité, alors que les autres convives les consommaient
cuits. Eux seuls ont eu, le lendemain, le corps couvert de boutons avec des démangeaisons. Le site web de l’Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels indique en effet que certaines personnes peuvent réagir au cham- pignon cru ou même insuffisamment cuit, et être victimes d’un grave prurit et de lésions de la peau (dermatite) qui apparaissent un à deux jours après l’ingestion.
de tels cas ont été rapportés en Europe depuis 1989 et 1993 (Lippert, Martin et al., 2003 ; Mak, Wakelm et al., 2006) et une cinquantaine de cas ont été signalés en Asie depuis 1976 (Nakamura et Kobayashi, 1985 ; Nakamura, 1992). Ce serait le lentinane (un sucre complexe de type polysaccharide) qui pourrait être impliqué dans les réactions cutanées qui frappent aussi les pro- ducteurs du champignon par contact avec la peau (Sastre et al., 1989). Enfin, la consommation régulière de shiitake peut entraîner chez certaines personnes de l’hyperéosinophilie (augmentation des réactions immunitaires pouvant conduire à des troubles de type allergique).
Les intoxications par les « bidâous » : Tricholoma auratum, T. equestre
(fig. 26) et T. flavovirens (fig. 27) (espèces présentes en Touraine)
Ces champignons sont ici classés par ordre de responsabilité probable dans des accidents graves dont certains mortels constatés depuis 1992 sur la côte landaise (autour du bassin d’Arcachon en particulier) où ces champignons sont connus depuis toujours sous le nom local de bidâou ou « tricholome des chevaliers » parce que, selon H. Romagnési, les seigneurs se les réservaient, laissant aux manants le flasque « bolet des bouviers » poussant lui aussi dans les pinèdes sableuses. Ailleurs, on les nomme chevalier ou cavalier et, dans le NE, canari ou jaunet.
dans l’ouvrage de M. Bon de 1988, ils étaient encore considérés comme des comestibles réputés, ce qui n’est plus le cas dans les nouvelles éditions.
dans leur niche écologique principale (car ils s’observent aussi dans nos contrées), la frange littorale à peuplements pionniers de pins maritimes ou les anciennes dunes littorales boisées, ces champignons ont connu depuis quelques années des pousses considérables entre la fin de l’automne et le début de l’hiver, offrant ainsi une manne tentante, d’où des pillages et des consommations hors normes. C’est ainsi que des publications (dont R. Bedry, 2001) ont fait état de 12 cas observés entre 1992 et 2001 de rhabdomyolyse (destruction de cellules musculaires) sévère, dont trois mortels. Tous les sujets
hospitalisés avaient consommé ces champignons au moins trois fois dans une même semaine. Tous présentaient une fatigue, des faiblesses musculaires, des douleurs du haut des jambes, 24 à 72 h après le dernier repas de cham- pignons. Chez les trois patients décédés, l’electromyogramme révéla des lésions musculaires, et les prélèvements, une myopathie aiguë. Il fallut aux survivants quinze jours pour recouvrer un taux d’enzymes musculaires normal.
Mais on a constaté à la faculté de pharmacie de Bordeaux7 que 75 %
des patients ayant de fortes concentrations d’enzymes CPK (= créatinine phosphokinase) ont survécu, ce qui a permis de conclure à une susceptibilité génétique des personnes décédées mise en évidence par le composé toxique du champignon.
La direction générale de la Santé a demandé de ne pas consommer plus de 150 g de ces champignons frais avant cuisson par personne, de n’en plus manger même après une intoxication bénigne et enfin de consulter un méde- cin en cas d’apparition de douleurs musculaires (Colette Keller-Didier, 2004, p. 427).
Le décret n° 2005-1184 du journal officiel du 19 septembre 2005 (voir annexe 1), interdit d’importer, d’exporter ou de détenir pour les distribuer à titre gratuit, les trois espèces qui seront sans doute bientôt frappées d’avertis- sements, de restrictions, voire d’interdictions. dans le même ordre d’idée, d’autres champignons comestibles (et de qualité) pourraient présenter des risques comparables. Ainsi Lepista nuda (le pied bleu), excellent comestible que certaines personnes ne peuvent plus consommer au bout d’un certain temps. Idem Lactarius salmonicolor poussant en montagne sous les sapins et qui est parfois consommé pendant des semaines et dont certains consomma- teurs tombent sérieusement malades.
LA DÉCOUVERTE DE NOUVEAUX PROBLÈMES DE TOXICITÉ
Il s’agit de champignons qui jusqu’ici n’avaient pas été consommés, ainsi les champignons hallucinogènes, de champignons non vénéneux ayant
7. Au laboratoire de mycologie du professeur Gérard Deffieux et au laboratoire de toxicologie
du professeur Creppy.
capté des toxiques dans un environnement particulier, de découvertes sur les effets d’empoisonnements jusqu’alors considérés comme douteux mais dont la toxicité a été précisée, et enfin de l’arrivée récente en France de nouvelles espèces toxiques.
on sait que les Mayas et les Aztèques consommaient des psilocybes qu’ils appelaient la « chair de dieu ». À faible dose, ils ont des propriétés hallucinogènes ; à dose moyenne (15 exemplaires environ), ils déclenchent l’ivresse et, à forte dose, la mort (ils sont par exemple utilisés pour les suicides). dans les années 1970-1980, les travaux de Roger Heim et de Gordon Watson ont, parmi les 200 psilocybes existant dans le monde, mis en cause les espèces suivantes possédant des pieds grêles de quelques millimètres de diamètre et des lamelles adnées : Psilocybe mexicana, Psilocybe cubensis, Psilocybe zapo- tecorum, Psylocybe callosa, Psilocybe semi-lanceata (fig. 28) qui existe en France mais dont le ramassage et le transport sont interdits par l’arrêté au Journal Officiel du 22 février 1990 qui le classe parmi les stupéfiants.
Le chimiste suisse Hoffmann a déterminé leurs principes actifs : des dérivés indoliques à structure proche de certains neuromédiateurs chimiques de notre système nerveux comme la tryptamine, la sérotonine et le trytophane. La psilocybine aurait la propriété de provoquer des retours à la conscience de faits oubliés ou refoulés d’où, chez les Mexicains, l’utilisation de ces champignons à des fins divinatoires. Les effets sont comparables à ceux pro- voqués par le LSd, abréviation d’un terme d’origine allemande : Lysergsäure Diethylamid (diéthylamide de l’acide lysergique). Les deux produits sont étroitement apparentés, mais le LSd est environ cent fois plus puissant que la psilocybine.
Le Psilocybe semi-lanceata est un petit champignon jaune verdâtre élancé, à chapeau conique, de 6 à 10 cm de hauteur, poussant dans les chaumes, les friches et certaines pelouses. Les amateurs de drogue qui le recherchent peuvent hélas le confondre avec Galerina praticola, voire G. marginata, tous deux mortels, quoique cette dernière soit plus forte et d’un marron plus foncé, et avec trois espèces du sous-genre Pholiotina (Fayod) Kühn. La consomma- tion du psilocybe amène au bout de 30 minutes de l’anxiété, des nausées, de
l’asthénie, des vertiges puis des troubles visuels, une désorientation et enfin une accélération du rythme des battements cardiaques. Les complications possibles sont l’infarctus, des actes auto ou hétéroagressifs et d’autres troubles psychiques.
Deux expériences que certains d’entre vous ont pu faire
Le lactaire délicieux est capable d’être excellent ou d’avoir un goût horrible selon les endroits où on le cueille. Les raisons ? Il y a plusieurs espè- ces proches, certaines plus verdâtres, qui peuvent être très bonnes comme le Lactarius semisanguifluus, d’autres médiocres comme le Lactarius deterrimus ou comme le Lactarius salmonicolor. En réalité, c’est le Lactarius sanguifluus (fig. 29), le « sanguin », qui est le meilleur. Quant au véritable L. deliciosus (fig. 30), c’est simplement un bon comestible, mais exclusivement sous les pins et sur sols neutro-calcicoles. Si on le trouve sous des épicéas avec lesquels il forme aussi des mycorrhizes, il est âcre et impropre à la consommation.
Son goût dépend donc aussi des conditions pédologiques et de son environnement biologique.
Le tricholome de la Saint-Georges ou mousseron d’avril (Calocybe gambosa) est un deuxième bon exemple. J’en ai jadis introduit dans les vieilles pelouses de mon jardin provenant de prairies qui venaient d’être implantées sur des remblais dans le parc de Larçay à l’est de Tours ; à Larçay comme chez moi, ils ne sont pas consommables. or un collègue de l’Académie me régale parfois des délicieux sujets qu’il cueille en avril sous les jeunes pins de sa prairie à moutons.
on sait encore que la volvaire, un bon comestible, est capable, en pous- sant sur des décharges, d’accumuler certains principes toxiques (métaux lourds en particulier).
L’importante accumulation d’éléments toxiques chez certaines espèces
Les éléments en question peuvent provenir du sol, de la proximité d’une source contaminante (décharge, autoroute, fossés avec engrais, défoliants ou pesticides) ou de l’air ( toxicité exogène). En cas de pollutions chimiques ou
radioactives, le champignon représente un aliment à risque. Puisant ses nutri- ments dans le sol, il a développé une forte capacité d’extraction et s’est doté de systèmes enzymatiques performants. L’absorption s’effectue grâce à des récepteurs spécifiques sur les membranes du mycélium. Ce dernier a la capa- cité d’extraire aussi bien les éléments stables que les radioactifs et de les accumuler grâce à la fois à un métabolisme assez lent et à sa longévité (de l’ordre de plusieurs dizaines d’années).
Certaines espèces bioaccumulent des métaux lourds toxiques comme le cadmium, le mercure, le plomb, le thallium, le sélénium et à un moindre degré le chrome (dont le chrome VI très toxique), le nickel et le cobalt (cf. Siobud- dorocant et al., 1999). La contamination et l’empoisonnement occasionnels par les métaux lourds, d’animaux de ferme ou de sangliers, seraient liés à la consommation de champignons, y compris d’espèces à fructifications souter- raines comme la truffe du cerf. Il y a parfois de graves problèmes de néphro- toxicité (attaque du système rénal) par hyperconcentration de cadmium dans des régions où le sol est très riche en ce métal ou à proximité de décharges de cadmium anthropique ou d’industries polluantes. La récolte et la consom- mation de champignons ayant poussé le long des routes et autoroutes peut amener à consommer des taux de plomb et de mercure largement supérieurs aux normes limites retenues par l’oMS.
de même, le mycélium parvient à concentrer le césium ; alors que le mycélium ne représente que 5 à 6 % de la masse du sol dans les trois premiers centimètres, il peut contenir plus de 30 % du césium répandu après une pol- lution radioactive. La cartographie des zones de France contaminées au césium par le nuage de Tchernobyl a été réalisée par le laboratoire indépendant CRII- RAD créé dans la Drôme par la scientifique Michèle Rivasi. Il s’agit des Vosges, du Jura, de la forêt du Boréon dans le Var, de certains secteurs du Mercantour (autour de La Vésubie en particulier) et de la montagne corse. Les sols de ces régions ne sont pas tous fortement contaminés, la contamination a été fonction de l’intensité des pluies radioactives au moment du passage des nuages contaminés. Par ailleurs, des spécimens d’une même espèce de cham- pignon récoltés sur des sols à taux de césium comparables peuvent présenter des contaminations très différentes en fonction du type de sol. Les sols argileux et les sols riches en bases ont généralement un assez fort pouvoir de rétention : les sols acides comme ceux des forêts de pins favorisent au contraire l’extrac- tion du césium. Malgré une décroissance notable du césium 137 (principal
polluant radioactif après l’accident de Tchernobyl, ayant une période de trente ans), il en reste encore dans la couche superficielle des sols des zones citées plus haut, susceptible d’être fortement concentré par certaines espèces de champignons comme les bolets bai (Xerocomus badius), jaunes (la nonette voilée : Suillus luteus) et le laqué améthyste (Laccaria amethystina).
dans ces secteurs, un bolet bai qui pousserait sur un sol contenant 10 000 Bq/m_8 pourrait présenter une teneur théorique en césium de 5 000 Bq/kg frais. Or, pour certains scientifiques, la contamination commen- cerait à 100 Bq /kg ; pour les autorités européennes, le seuil est cependant fixé à 600 Bq/kg.
Quels sont les risques pour l’homme ?
La réponse est délicate, car il y a, au-delà d’une limite difficile à fixer, un risque de développer 20 ou 30 ans plus tard un cancer ou de transmettre des anomalies génétiques à sa descendance, mais seulement en cas de consom- mation fréquente et abondante de certains champignons. En septembre 1997, la CRII-RAd a prélevé un petit-gris dont la contamination s’élevait à 3 000 Bq/kg frais (cf. tabl. 1). Il suffisait donc d’en absorber 256 g par an pour atteindre la limite de 10 microsieverts9 par an (10_Sv/an) au-dessus de laquelle le risque n’est pas négligeable pour les autorités européennesde contrôle (Euratom). Mais la limite du risque tolérable au-dessus de 1000 _Sv/an serait dépassée avec une consommation annuelle de 26 kg du même champignon.
Petit-gris (Tricholoma terreum) (fig. 31) |
3 000 Bq/kg de matière fraîche |
Laqué améthyste (Laccaria amethystina) |
2 570 |
Bolet jaune ou nonette voilée (Suillus luteus) |
2 070 |
Bolet à chair jaune (Xerocomus chrysenteron) |
1 745 |
Bolet bai (Xerocomus badius) |
1 715 |
Tricholome du groupe équestre (Tricholoma flavo-virens) |
1 500 |
Chanterelle en tube (Cantharellus tubaeformis) |
1 465 |
Tableau 1 : Les espèces les plus contaminées en césium après le passage du nuage de Tchernobyl au-dessus de l’est de la France.
Analyses faites par la CRII-RAD (d’après la fiche n° 3, 1997)
Unité de mesure de l’activité d’un radionucléide correspondant à la désintégration d’un atome par seconde.
Unité de mesure d’équivalent de dose de rayonnement ionisant ; un sievert vaut 100 rems.
En se fondant sur des niveaux de contamination plus courants, de l’ordre de 200 Bq/kg, la limite du risque négligeable serait dépassée avec 4 kg de cham- pignon frais par an et, pour dépasser la limite du risque tolérable, il faudrait une consommation peu probable de plus de 350 kg/an.
Les champignons considérés jadis comme comestibles
Pendant longtemps, nous avons consommé des clitocybes nébuleux (Clitocybe ou Lepista nebularis) (fig. 32), constatant au passage que, comme lors de l’ingestion de l’agaric anisé ou de l’agaric des bois (qui d’ailleurs bioac- cumule spectaculairement le cadmium), on pouvait rencontrer des sujets aux goûts très différents, parfois déplaisants et avec de légers effets laxatifs. La première chose est d’abord de ne pas le confondre avec l’entolome livide qui peut avoir le même aspect extérieur, d’où des empoisonnements fréquents (un syndrome gastro-intestinal de quelques heures) ; les lamelles de l’entolome sont de couleur « beurre frais » presque saumonées pour les plus vieux exemplaires et non blanches comme pour le clitocybe et, de plus, elles sont échancrées.
Mais on sait maintenant que certains ne supportent pas le clitocybe nébuleux parce qu’ils présenteraient une intolérance à la cuticule du chapeau. Comme il faut toujours tenir compte des susceptibilités individuelles et qu’il faudrait peler les chapeaux, autant renoncer à sa cueillette.
Il faudrait évoquer Armillaria mellea (fig. 33) que j’ai consommée dans ma jeunesse, quoique comestible assez médiocre. En 1988 encore, Marcel Bon indiquait qu’on avait signalé des intoxications qui étaient, écrivait-il, le fait d’exemplaires mal conservés ou trop âgés ; en réalité, il pourrait s’agir de phénomènes de toxicité comparables à ceux décrits pour d’autres espèces comme diverses pézizes dont la « remarquable » Sarcosphaera crassa (la pézize épaisse) capable de produire des effets de sensibilisation à la suite de consom- mations répétées.
Idem certains bolets du genre Suillus comme le bolet granuleux : Suil- lus granulatus, Suillus luteus (la nonette voilée) que je consomme couramment sans aucun problème, et Suillus collinitus, qui sont parfois considérés comme purgatifs avec des accidents pouvant aller jusqu’à une grande fatigue.
De nouvelles précisions sur des espèces classées jadis comme douteuses
dans la très abondante famille des inocybes, mentionnons l’inocybe de Patouillard donné comme mortel et de nombreux autres inocybes10 dont Inocybe adaequata, Inocybe lanuginella (fig. 34), Inocybe geophylla, Inocybe fastigiata (fig. 35), Inocybe asterospora, Inocybe armeniaca et Inocybe godeyi (confondus avec des mousserons d’avril) ; ils causent des intoxications sudo- riennes ou muscariennes. Ajoutons y certains hébélomes ; l’entolome rosé (Entoloma roseum) et l’agaric jaunissant (xanthoderma) qui contient des principes laxatifs. Idem, du moins pour certaines personnes, la clavaire élé- gante : Ramaria formosa (pour moi, toujours purgative, mais sans gravité) et Ramaria pallida qui paraît dangereuse.
Parmi les tricholomes, il faut citer Tricholoma album et sulphurescens. Ils appartiennent à un groupe susceptible de confusion avec le tricholome prétentieux : Tricholoma portentosum (le petit gris d’automne ou bise d’automne) qui est comestible, mais qui pousse sous les conifères et dont la chair jaunit faiblement à la cassure. Ces champignons peuvent provoquer des gastro-entérites ; les symptômes, une heure ou deux après l’absorption, sont : des asthénies, des crampes et des douleurs abdominales, la nausée, des vomis- sements, de la diarrhée et assez souvent des syncopes. Citons encore le tri- cholome tigré (Tricholoma pardinum) provoquant des syndromes résinoidiens (gastro-entérites graves).
Le mycène pur et le mycène rosé sont responsables d’intoxications de type muscarinien, mais rarement mortelles ; il s’agit d’une vaso-dilatation et d’une bradycardie (diminution du rythme cardiaque) avec importante baisse de tension, myosis (diminution du diamètre des pupilles), augmentation du péristaltisme intestinal, diarrhées, hypersécrétions généralisées parfois accom- pagnées de nausées et vomissements. Les sujets atteints de risques cardiaques sont susceptibles de succomber ; l’antidote est l’atropine ou la teinture de belladone, d’administration délicate.
Les nouvelles découvertes
on découvre régulièrement de nouveaux champignons toxiques, parfois considérés comme comestibles.
Plus d’une vingtaine pour Cl. Loup (1938).
En octobre 2004, le forum Mycologia europaea a fait part d’empoi- sonnements au Japon, dont certains mortels, par Pleurocybella porrigens (= Pleurotus porrigens = Phyllotus porrigens = Pleurotellus porrigens) (fig. 36), le pleurote étalé ou en éventail que l’on trouve aussi dans les Vosges sur des souches de résineux et qui serait consommé par certains montagnards sous le nom d’ « oreille de cochon ». or ce champignon est noté dans plusieurs manuels comme très bon comestible et dans quelques uns, comme aussi bon, sinon meilleur, que la pleurote en forme d’huître. La plupart des intoxiqués japonais se sont révélés être des insuffisants rénaux dont les symptômes ont évoqué ceux d’une encéphalopathie métabolique.
Lucien Giacomoni, bien connu pour ses travaux sur la toxicité des champignons a révélé que l’oreille de Judas (Auricularia auricularia-judae) est responsable d’un syndrome hémorragique par atteinte plaquettaire dit
« syndrome du Szechwan ». Ce champignon est pourtant un classique de la cuisine chinoise, et on peut toujours le trouver commercialisé.
Le toxicologue L. de Haro a signalé dans Néphrologie 1998, un nouveau syndrome d’intoxication : le syndrome proximien. Il s’agit d’une tubulopathie aiguë liée à l’ingestion d’Amanita proxima en France11 et d’Ama- nita smithiana aux USA. Après un délai variable post prandium (de 2 h à 48 h), on note la survenue de troubles digestifs, rénaux (NTIA : néphrite tubulo-intersticielle aigüe) et hépatologiques avec cytolyse réversible si le taux de transaminases < 15 N12. Une équipe de toxicologues et de médecins a connu, en octobre 1992, cinq cas d’intoxication. Ils ont décrit (Leray et al.) des troubles digestifs précoces, une hépatite cytolytique modérée et une insuffisance rénale aiguë, même si un traitement de suppléance extra-rénale transitoire a été nécessaire chez quatre patients. L’évolution fut favorable en trois semaines avec restitution intégrale des fonctions rénales et hépa- tiques. Le traitement se fait avec une EER : Épuration rénale chronique, à 25 %.
En 2003, trois chercheurs de l’unité de toxicologie chimique du CHU de Grenoble (Saviuc, Fouilhe Sam-Laï et danel, 2003) ont fait part de deux
C’est une espèce plutôt méditerranéenne, réputée comestible, mais qu’il vaut mieux ne pas cueillir !
Les transaminases sont des enzymes qui sont fortement augmentées en cas de cytolyse hépatique.
autres types d’empoisonnements : d’abord une atteinte du système nerveux central associée à une discrète cytolyse hépatique et à une insuffisance rénale, décrite chez un enfant après l’ingestion accidentelle d’Hapalopilus rutilans (= Phaeolus rutilans ou nidulans Fr.) (fig. 37), un polypore mou de couleur brun-cannelle ochracé de 2 à 7 cm adhérent aux branches de nombreuses espèces de feuillus, ensuite, un clitocybe décrit au Maroc mais récemment reconnu dans les vallées alpines françaises (Clitocybe amoenolens) (fig. 38) et ressemblant fortement au petit Lepista inversa (fig. 39) comestible, a donné lieu en 1996, 24 h après l’ingestion, à des intoxications de type acromélalgien (du nom du Clitocybe acromelalga poussant au Japon). Jusqu’ici, ce syndrome n’était connu qu’en Extrême-orient : des douleurs abdominales résistant à tous les antalgiques pendant plusieurs mois, les intoxiqués ne pouvant plus dormir ni s’alimenter, finissant parfois par succomber.
dans son article de 1999, Philippe Saviuc (voir aussi Saviuc et al., 2002) a précisé cette nouvelle forme d’intoxication. À l’origine, un vacancier avait proposé à un centre de vacances de la Maurienne une cueillette de Lepista inversa (en fait, une espèce erronée). Après de nombreuses recherches, l’in- toxication a amené la découverte de Clitocybe amoenolens et aussi de Clito- cybe gibba peut-être co-responsable, espèces encore considérées comme comestibles par Bon en 198813.
L’infirmière réalisant les soins s’était souvenue d’un empoisonnement antérieur dans la vallée, et les toxicologistes furent aidés par la description de symptômes (une érythermalgie) décrits par un mycologue qui avait été au Japon et qui avait évoqué le champignon japonais Clitocybe acromelalga dans une revue locale, évoquant son nom de « champignon aux brûlures » ou de
« champignon vénéneux du bambou ». Il avait décrit ces douleurs intolérables survenues de 24 h à 5-15 jours après l’ingestion (! ) et durant de 3 à 5 semaines, et qui n’étaient calmées que par l’eau froide. Elles s’étaient terminées par un œdème avec rougeur des doigts et des orteils, mais ne laissant in fine que des cicatrices cutanées. Le mécanisme retenu est une atteinte des fibres peu ou non myélinisées du système nerveux autonome.
Nous avons dans le passé, fréquemment consommé Clitocybe gibba (clitocybe en entonnoir) alors appelé C. infundibuliformis.
CONCLUSION
L’apparition constante de nouveaux syndromes d’empoisonnements doit inciter les consommateurs de nombreuses espèces de champignons et d’espè- ces un peu recherchées, à la plus grande prudence. Les guides mycologiques des meilleurs auteurs se révèlent vite dépassés quant aux indications sur la comestibilité des espèces. La recherche d’espèces comestibles, même couran- tes, nécessite une sérieuse information personnelle et une documentation qu’hélas tous les pharmaciens ne sont plus en capacité de donner ; il faut donc faire les apprentissages nécessaires dans des sorties organisées par les asso- ciations naturalistes ou mycologiques qui existent dans de très nombreux départements de France.
Il faut rester prudent avec les molécules produites par ces usines chi- miques que sont les champignons. du fait de la bioaccumulation de produits toxiques, il est prudent, comme cela est conseillé dans les ouvrages récents, que les enfants ou les femmes enceintes ne consomment pas de champignons sauvages et que les adultes en limitent la consommation à quelques repas par an.
Annexe 1 : Décret n° 2005-1184 du journal officiel du 19 septembre 2005.
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